Willard Huyck (scénariste) : « George Lucas voulait qu'il soit vraiment effrayant ! »
Après le succès du film Les Aventuriers de l'Arche Perdue et les 242 millions de dollars de recette du film, il est clairement apparu aux yeux de Steven Spielberg et de George Lucas qu'Indiana Jones était un personnage qui plaisait à tous, grands et petits de tous les âges. Pour le second opus, le personnage trouvera même sa place dans le titre : Indiana Jones et le Temple Maudit (Indiana Jones and the Temple of Doom).
Les producteurs de la Paramount Pictures avaient compris que l'impact du personnage sur le public était unique. Lors de la préparation 80 % du public se disait déjà conquis par la suite du fait de la popularité du personnage, avant même que le moindre dollar soit dépensé pour le marketing !
Les Aventuriers de l'Arche Perdue servait tout simplement de publicité à Indiana Jones et le Temple Maudit et la production s'en amusait beaucoup grâce à de nombreux clin d'œil au sein du studio.
Notez par exemple que lorsque Willie Scott fait son entrée dans le "Club Obi Wan" de Shanghai (clin d'œil à l'univers Star Wars), elle cache une partie du titre. Avec 80 % d'identification instantanée au personnage… Qui peut avoir besoin de lire le titre ?
Les premières réunions de la production autour du projet du Temple Maudit commencèrent durant l'été 1982. Le tournage débuta en avril 1983 avec pour titre Indiana Jones et le Temple de la Mort, mais rapidement celui-ci sera remanié pour une version plus "soft". Pendant 5 mois l'équipe de George Lucas et Steven Spielberg va voyager dans le monde entier au service de l'aventurier : de la Californie au Sri Lanka, de Macao aux fameux studios d'Elstree en Angleterre.
Indiana Jones et le Temple Maudit sort le 23 mai 1984 et rapidement, Star Wars Episode VI : Return of the Jedi et ses 8,4 millions de dollars de recette par jour sont battus !
L'ambiance est plus dure, l'action plus intense que dans le premier film et Indiana Jones et le Temple Maudit apparaît comme le digne successeur des Aventuriers de l'Arche Perdue…
Après le succès des Aventuriers de l'Arche Perdue, George Lucas avait décidé de continuer à s'amuser avec les séries cinématographiques d'aventure. Sur la lancée de L'Empire contre-attaque, le second volet de sa saga Star Wars, la suite des aventures d'Indiana Jones sera aussi une plongée vers le "coté obscur".
Lucas présente son projet pour le deuxième film à Spielberg en novembre 1981. Un article parut dans un numéro du magazine American Cinematographer (magazine américain pour les professionnels du cinéma) de l'époque retransmet ainsi les propos de George Lucas :
George Lucas : « J'ai adoré tourner Les Aventuriers. Je ne sais pas si c'est uniquement parce que le tournage s'est vraiment bien passé que j'ai apprécié cette aventure, en tout cas je suis très impatient de recommencer l'expérience. Je vais donc produire la suite des Aventuriers (directeur exécutif de production). J'ai tellement aimé faire le premier film que jamais je ne laisserais le second opus dans les mains de n'importe qui. Je ne serais peut-être pas impliqué dans le troisième ou le quatrième, si ça continuait, mais je tiens absolument à faire ce deuxième film, car il sera sans aucun doute beaucoup plus spectaculaire que le premier. »
Il attendait juste un scénario pour signer les contrats.
Lawrence Kasdan n'étant pas disponible (il préparait alors son premier film en tant que réalisateur Body Heat), George Lucas se met en relation avec les co-scénaristes de son propre deuxième film American Graffiti, Gloria Katz et Willard Huyck, en février 1982.
C'est au cours du tournage de THX1138, que George Lucas proposa à une équipe de jeunes scénaristes d'écrire le script d'un film sur les années soixante qui lui trottait dans la tête. Le film devait s'appeler American Graffiti, et valoir à ses auteurs Williard Huyck et Gloria Katz, une nomination aux Oscars. Ces deux auteurs californiens s'étaient connus à l'université, lors de la première d'un film de Roger Corman, The Wild Angels (Les Anges Sauvages). Plus tard, diplômée de l'UCLA, Gloria Katz entra comme monteuse à l'Université tandis que Huyck, qui avait fait l'USC, fit quelques temps office de lecteurs à l'AIP. Par la suite, Huyck fit entrer l'un de ses condisciples à l'AIP : John Milius, avec lequel il co-signa le scénario de The Devil's Eight, puis Katz et lui-même firent des offres de service à Francis Ford Coppola qui venait de fonder l'American Zoetrope Compagny et c'est là qu'ils firent la connaissance de Lucas.
Le succès d'American Graffiti devait amener Huyck et Katz à écrire bien d'autres scénarios, dont Lucky Lady et French Postcards, autre incursion dans les choses du passé, mais qui marquait, cette fois, les débuts de Katz comme productrice et de Huyck dans la mise en scène.
Ils devaient renouer leur relation avec Lucas en écrivant le scénario d'Indiana et le Temple Maudit, le « prologue » des Aventuriers de l'Arche Perdue, sans pour autant renoncer à leurs carrières de productrice et de metteur en scène. L'Écran Fantastique N°48
Durant quatre jours, le couple et Spielberg sont invités dans son ranch pour discuter du projet. Pendant les premières heures, Lucas déballe ce qu'il a en tête.
George Lucas : « Le titre sera Indiana Jones et le Temple de la Mort, l'histoire commencera à Shanghai, un an avant Les Aventuriers et plusieurs scènes catastrophes, dont le crash d'un avion, seront au menu. »
La trame principale est simple : Indy est invité dans un village pour retrouver une pierre sacrée aux pouvoirs magiques. Ainsi sont posées les bases du scénario. Lucas veut aussi des enfants dans le film et une jeune princesse exotique comme partenaire, mais les autres ne sont pas convaincus par cette idée et finalement ce sera un jeune Chinois d'une dizaine d'années. On décide même en partant de cette idée de faire du maharajah un jeune garçon et d'impliquer les enfants de la tribu, enlevés par une secte.
Spielberg est un des premiers à trouver l'idée du « Temple de la Mort » un peu trop violente et propose le terme « maudit » à la place de « mort », Lucas finira par accepter.
Pour ce second film, ils décident de changer de cap par rapport aux « Aventuriers » : pas de Sallah ou de Marcus Brody pour sauver la mise, Indy est seul (ou presque…).
Steven Spielberg: « Le danger lorsqu'on se lance dans l'écriture d'une suite, c'est de chercher à satisfaire tout le monde, mais c'est impossible. Si vous donnez au public le même film avec des scènes différentes, on vous dira "Vous ne pouviez pas faire plus original ?". Mais, si vous reprenez le même personnage dans une nouvelle aventure, avec un ton et une ambiance totalement différents, vous risquez de fâcher le reste du public qui désire lui voir une copie conforme du premier film avec une nouvelle fille et un nouveau méchant. Vous perdez à tous les coups ! »
La nouvelle compagne d'Indy sera donc différente : une blonde assez superficielle qui passe son temps à couiner et à se plaindre du manque de confort de l'expédition. Aux antipodes du personnage de Marion Ravenwood ! La seule ressemblance entre les deux « Indy-girls » restera le fait qu'elles soient toutes les deux empêtrées dans les aventures d'Indy par des circonstances indépendantes de leur volonté. Mais, fondamentalement se sera bien une personne différente.
Pour trouver les noms des nouveaux personnages le couple de scénaristes va s'amuser à reprendre les vieilles recettes du premier épisode : les noms des animaux de compagnie vont à nouveau servir pour les personnages. Donc le jeune associé d'Indy s'appellera Demi-Lune (Short Round) comme leur chien de race sheltie et sa nouvelle compagne Willie comme le cocker espagnol de Spielberg. Ils décident aussi de baptiser les deux méchants du film par du nom de deux peintres Indiens du XVIIe siècle.
Au lycée, l'archéologie et l'anthropologie étaient les deux matières préférées de Lucas. Inspiré par des cours d'anthropologie, Lucas avait imaginé le personnage d'Indiana Jones de façon très précise.
Williard Huyck : « Short Round, c'est notre chien qui l'a inspiré ! II a quinze ans (en 1984) et nous l'avons baptisé d'après un personnage d'un film de Samuel Fuller : un petit Coréen… Quand nous avons commencé à chercher des noms pour nos nouveaux personnages, nous nous sommes dit que, puisque George avait donné à Indiana Jones le nom de son chien, nous pouvons aussi bien en faire autant ; et c'est ainsi que Steven a baptisé notre héroïne Willie, comme son chien, et que nous avons appelé Short Round comme le nôtre ! »
Dans le scénario original, le personnage de Willie se nommait Wilhelmina. Le 12 octobre 1991 Steven Spielberg a épousé la comédienne Kate Capshaw (Willie Scott dans Indiana Jones et le Temple Maudit)…
Harrison Ford était impatient d'endosser à nouveau le costume d'Indiana Jones et s'exprimait ainsi dans le magazine Starlog
Harrison Ford : « Bien entendu, que je suis au générique de la suite des Aventuriers ! Avec grand plaisir même ! En plus Steven est de nouveau derrière la caméra. Je suis très excité. C'est un des meilleur réalisateur avec lequel j'ai pu collaborer. »
Mais, avec le temps Spielberg ne le voyait plus de la même manière et c'était investi dans d'autres projets qui lui prenaient beaucoup de son temps.
Steven Spielberg : « Je ne pense pas réaliser ce film mais plutôt participer à la direction du tournage avec George en tant que coproducteur ou quelque chose comme ça… »
En entendant ces propos George Lucas se précipite au bureau des deux scénaristes : « J'ai bien peur qu'on perde Steven à la réalisation si on attend encore, accélérons le rythme ! »
La première mouture du scénario fut prête en 6 semaines et George réussi à convaincre Steven de signer pour le film en tant que réalisateur.
George était très enthousiaste : « Je peux le lire ? » demandait-il, impatient. Comme le fit remarquer Willard Huyck dans le livre de Charles Champlin : "George Lucas : l'impulsion créatrice" : « Steven était stupéfait de la rapidité avec laquelle nous avions pu écrire ce scénario. » La deuxième ébauche du scénario prit à nouveau 6 semaines et en un mois, le tiers de l'histoire était déjà définitif. « Après huit mois, c'était fait ! », raconte Huyck. « Nous nous sommes ensuite éclipsés pour laisser la place à Steven. Il a ajouté quelques idées après avoir commencer les repérages sur les futurs lieux de tournages et, bien entendu, plusieurs restrictions budgétaires ont fait leur apparition. »
À la fin de toutes ces modifications, le scénario a atterri dans les mains d'Harrison qui suggéra d'ajouter un peu d'humour et de redéfinir avec plus de finesses le caractère d'Indy dans certaines scènes. Mais ce qui ne lui plut pas c'est que George annonce « Nous sommes en route pour 5 films ! ». « Tu devrais plutôt embaucher Roger Moore. » répliqua Ford, « Je l'apprécie beaucoup, mais il en fait parfois un peu trop, à mon goût. ». Harrison était effrayé pour la suite de sa carrière. Après Star Wars et Indiana Jones il n'espérait pas rester définitivement un "action heros". Son public n'accepterait sûrement pas qu'il devienne une sorte de "roi de la suite" avec toutes ces séries.
Comme George voulait que le film soit réellement très effrayant les méchants devaient faire vraiment faire peur, pas de Nazis idiots ou d'un Belloq naïf, et le choix fut d'adopter les méchants du poème de Rudyard Kipling Gunga Din "la secte des Thugs". C'était un groupe qui pratiquait le culte de la déesse de la mort, Kali, et dont le rituel "Thuggee" consistait à mettre en scène des strangulations d'êtres humains sacrifiés à la déesse. Silencieux et anonymes les Thugs voyageaient le long des routes de l'Inde, capturaient voyageurs et paysans pour les sacrifier selon leurs rituels. Durant des siècles, la secte demeura secrète. Huyck en profita pour marier leurs pratiques avec celles d'autres sectes comme les Aztecs, la secte du volcan hawaïen ou des cultes diaboliques européens. Ainsi ils formaient la secte ultime du sacrifice humain.
Tandis que les méchants du film devenaient de plus en plus sombre Indy prenait un caractère de plus en plus lumineux. La motivation d'Indy ne serait plus la passion de l'archéologie ou l'amour des objets d'art anciens mais de rendre la liberté à des centaines d'enfants asservis par les forces du mal. Cette fois ci Indy montrera qu'il n'est pas seulement à la recherche de la fortune et à la chasse aux objets précieux mais bien une personne qui peut aider ceux qui sont dans le besoin.
Indy II contiendra beaucoup de violence, de sacrifices humains, de passages choquants et de la nostalgie des années 30 le film se décale vers la violence des années 80.
Beaucoup d'idées qui avaient été abandonnées pour Les Aventuriers ont été utilisées dans le nouveau scénario.
À l'origine Lawrence Kasdan avait écrit une histoire qui racontait qu'un médaillon représentant la tête du dieu Ra avait été cassé en deux. Les morceaux s'étaient retrouvés dans les mains de Marion et d'un certain Général Hok, un militaire diabolique qui se cachait à Shanghai. Quittant les États-Unis, Indy pénétrait alors dans la forteresse de Hok. Il se retrouvait nez à nez avec deux imposants Samouraïs. Il tirait sur le premier, étranglait l'autre et réussissait à passer inaperçu. Puis en se servant du sabre de l'un des Samurais il cassait la vitrine du cabinet contenant l'objet qu'il voulait récupérer, ce qui déclenchait un "système d'alarme" se présentant sous la forme d'un gong géant. Le général Hok sortait de sa retraite et tirait sur Indy avec une mitraillette. Indy arrivait à décrocher le fameux gong et l'utilisait pour se protéger des balles puis celui-ci finissait par fendre le plancher, offrant ainsi à Indy un moyen d'évasion. Cette scène, montrant Indiana sous une personnalité plus sombre, avait été supprimée du scénario pour cause de budget. Le nouveau scénario commencerait donc par une scène montrant Indy à Shanghai dans un cabaret nommé "Le Dragon", négociant avec la mafia chinoise et utilisant un gong pour se protéger d'une fusillade. Pour continuer dans la série des blagues et des "auto-références" le cabaret fut renommé en "Club Obi-Wan". Cette scène avait aussi pour prétexte de montrer Indy en smoking pour faire référence à celui qui est un peu à l'origine du personnage : un certain James Bond.
Une autre scène qui à été récupéré du scénario des « Aventuriers » est celle du voyage en avion au Népal. Indy devait quitter Shanghai en DC-3 pour rejoindre Marion au Népal. À bord, il devait y avoir quelques passagers anodins : des touristes, une vieille dame et des asiatiques qui rentraient chez eux. Mais c'était un piège en réalité et lorsque Indy s'endormait tout le monde en profitait pour "mettre les voiles" en parachute. Indy en se réveillant découvrait ainsi l'avion vide se dirigeant vers une montagne. Utilisant alors un bateau pneumatique de secours, il sautait de l'avion. Pendant la chute, il s'enveloppait du canot gonflable qu'il actionnait pour finalement atterrir sur les pentes enneigées de l'Himalaya, sain et sauf. Puis il utilisait le canot comme une luge et terminait la descente jusqu'au bar de Marion. La scène fut incorporée au scénario d'Indy II pour ajouter une scène d'action après celle des ruelles de Shanghai à la demande de Spielberg en milieu de production. Les passagers se transformèrent donc en cageots à poules !
La dernière scène à avoir été abandonné dans le premier film et réutilisée sur le deuxième est le climat du film (moment de la narration où l'intensité dramatique atteint son apogée). Après le mort de Belloq, Indy et Marion devaient quitter le plateau de la cérémonie nazie dans une mine grâce à un wagonnet alors que la montagne s'écroulait. Ils étaient suivis par des nazis et une course-poursuite avait lieu dans les tunnels de la mine. La poursuite devait paraître inégale et les deux héros en danger, leur wagonnet n'étant pas totalement fonctionnel. Ainsi durant l'action, Indy cassait les freins et le wagonnet prenait soudainement de la vitesse, laissant les Nazis sombrer dans les flammes. Puis au bout du tunnel nos deux amis trouvaient pour s'échapper un bateau Nazi déguisé en bateau de pêche Grec. Le cadre suivant montrait le bateau au premier plan quittant la baie tandis que toute l'île s'effondrait dans la mer. Pour ce nouveau film, le concept de la poursuite dans la mine fut considéré non pas comme une petite scène de clôture mais comme une pièce maîtresse de l'action.
Texte : Aurélien Rémy et Jean-Michel Sorin. À suivre…
Dernière mise à jour le 28/05/2012