L'affiche Française

Rencontre avec Gil & Michel Jouin

Michel et Gil Jouin

Michel et Gil Jouin © D.R.

Le Secret de la Pyramide

Gil & Michel Jouin, Le Secret de la Pyramide (Young Sherlock Holmes), 1985.
Illustration inédite du film. Les hiéroglyphes réalisés par Gil furent refusés. © D.R.

Affichiste et dessinateur renommé Michel Jouin nous a abreuvé durant notre adolescence d'un nombre incroyable d'affiches de cinéma. En 1983, il décroche le film qui va propulser sa carrière :
Le Retour du Jedi. Et l'année suivante, il met son talent au service d'une autre célèbre production Lucasfilm L.t.d. : Indiana Jones et le Temple Maudit. Ensuite, de nombreux studios le réclament et la liste des films auxquels il contribue ne fait que s'allonger au fil des ans. Pour n'en citer que quelques-uns : Supergirl, Silverado, Starfighter, Young Sherlock Holmes (Le Secret de la Pyramide) produit par Steven Spielberg, Jean de Florette, Manon des Sources, La Voce Della Luna de Frederico Fellini, Les Misérables de Claude Lelouch… Pas besoin d'en dire plus !

Michel Jouin est notre « Drew Struzan » national, et c'est pour cela que nous tenions à le rencontrer. Son œuvre a marqué toute une génération et représente, pour nous, une époque où l'on préférait souvent l'illustration au photo-montage pour les affiches de cinéma. Michel Jouin qui s'est éloigné de la vie parisienne, habite maintenant dans le sud de la France, ce qui explique pourquoi nous avons mis un peu de temps à le retrouver. Quelques répliques de L'Empire Contre-attaque pourraient s'adapter à la famille Jouin, notamment lorsque Obi-Wan dit « c'est notre dernier espoir » et que Yoda lui répond « non, il y en a un autre ». Car Michel a transmis sa passion du dessin à son fils Gil avec qui il travaille depuis plusieurs années. Michel est autodidacte au contraire Gil a fait les Arts appliqués.

Michel et Gil Jouin

Gil Jouin, Cinéma Paradiso.
César de la meilleure affiche de cinéma en 1987. © D.R.

L'ensemble de leur carrière a été récompensé en 1987 par une nomination aux Césars pour l'affiche de Manon des Sources et surtout en 1990 lorsque Gil est monté sur scène pour recevoir le César de la meilleure affiche de cinéma pour le film Cinéma Paradiso.

Pour réaliser cette interview, le Lucasfilm Magazine a eu le privilège de pénétrer dans la maison de Gil Jouin, qui ressemble à un véritable musée du Louvre de l'illustration d'affiche de cinéma et chaque centimètre de la maison nous renvoie aux années 80. Outre les affiches de cinéma, de nombreuses affiches de pub (de 1975 à nos jours) et de magnifiques toiles de paysages nous permettent d'apprécier l'étendue du talent de ces deux artistes. Dans cette ambiance merveilleuse, nous avons tenté de découvrir quels étaient les secrets et anecdotes qui se cachaient derrière chacune des affiches de cinéma que nous connaissions…

Michel, comment a débuté votre carrière ?

Michel : J'ai commencé par la petite porte de la publicité, comme apprenti dessinateur d'exécution pour terminer directeur artistique dans diverses agences de publicité. En 1961 j'ai décidé de faire de l'illustration et j'ai travaillé sur la nouvelle collection d'OSS 117 éditée par Les Presses de la Cité.
J'ai donc quitté la Pub pour l'édition. Pendant un an, j'ai écumé tous les éditeurs de Paris et alors que j'allais voir le dernier éditeur de la place, coup de bol, un de leur illustrateur (René Perron) est tombé malade et j'ai dû le remplacer au pied levé. Ensuite j'ai eu un agent et le premier film sur lequel j'ai travaillé s'appelait Comment réussir en amour, un film de Dany Saval (la femme de Michel Drucker) où j'ai cosigné avec Feracci. Bien avant cela, j'avais travaillé dans un atelier qui réalisait des toiles que l'on présentait aux façades des cinémas parisiens et à l'époque, tous les cinémas en avaient. Je me rappelle tout particulièrement d'une silhouette de Gary Cooper de plus de 15 mètres de haut sur la façade du Grand Rex, à l'occasion de la sortie du film Vera Cruz. J'avais fait également l'affiche du film Monsieur Klein de Joseph Losey, que tout le monde avait accepté, sauf Alain Delon. Il voulait que je lui retire les cernes…

Comment Star Wars est-il entré dans votre vie ?

Michel : En 1983, mon agent avait été contacté par la 20th Century Fox pour trouver un dessinateur qui fasse des illustrations dites « à l'américaine ». Il y en avait d'autres que moi mais,
à l'époque, il voulait quelqu'un de nouveau pour sortir des sentiers battus.

Le Retour du Jedi

Michel Jouin, Le Retour du Jedi (Return of the Jedi), 1983. © D.R.

Qu'avez-vous ressenti lorsqu'on vous a proposé de faire l'affiche française du Retour du Jedi ?

Michel : J'étais vraiment ravi d'être choisi pour réaliser cette affiche. J'avais vu les deux premiers Star Wars et je les avais beaucoup aimés. Et puis, j'ai surtout eu le soutien inconditionnel de mes enfants et de mon entourage pour ce projet. En plus, comme je n'étais pas en concurrence avec un autre dessinateur, je n'étais donc pas stressé.

Comment s'est déroulé le travail entre vous et la Fox pour Le Retour du Jedi ? Y-a-t-il eu un « brief » de départ ?

Michel : J'ai demandé à lire le scénario et ils n'ont jamais voulu. Il n'y a pas eu de projection privée du film, c'était le secret total. Je leur ai dit « Mais comment vais-je faire si je ne connais pas l'histoire ? », ils m'ont alors demandé si j'avais vu les deux premiers films et comme j'ai répondu « oui », ils m'ont dit avec beaucoup d'humour « d'imaginer la suite » (rires)…

Finalement, ils m'ont donné quelques photos et j'ai donc essayé d'imaginer la suite. J'ai pensé que le film était forcément basé sur la confrontation du bien et du mal, comme dans les deux précédents épisodes. J'ai donc composé la première version de l'affiche avec Vador d'un côté et Yoda de l'autre. Pour moi, cela s'imposait. Raté ! Car j'ai appris, après moult réunions. Que Yoda disparaissait au cours du film et que, par conséquent, il ne pouvait pas être placé en gros sur l'affiche. Je me suis donc remis sur une planche…

Il y a d'abord eu deux crayonnés noir et blanc, puis un crayonné couleur et ensuite je suis passé à la peinture. Celle-ci a été envoyée au USA pour approbation et elle a été refusée. J'ai fait une seconde mise en page et j'ai appris qu'il y avait des créatures qui s'appelaient les Ewoks mais je n'avais pas le droit de les voir. Alors j'ai un peu insisté et j'ai eu ce privilège. Afin de refaire l'affiche avec les nouveaux éléments, j'ai découpé les trois personnages principaux de ma première réalisation et je les ai superposés sur une nouvelle toile car il m'était impossible de repeindre l'original. Sur la version finale, vous pouvez apercevoir ce travail de collage…

Indiana Jones et le Temple Maudit

Michel Jouin, Indiana Jones et le Temple Maudit, 1984. D.R.

L'année suivante, en 1984, Lucasfilm Ltd. sortait son nouveau film Indiana Jones et le Temple Maudit. Aux États-Unis, c'était une affiche de Drew Struzan et une fois de plus, c'est vous qui avez fait l'affiche pour la France !

Michel : À l'époque on adaptait très souvent les affiches au pays d'exploitation alors que, de nos jours, la même affiche est utilisée d'une manière mondiale. Après Le retour du Jedi, on m'a proposé beaucoup de travail et Indiana Jones est venu logiquement puisque je venais de participer à une production Lucas quelques mois auparavant. Cette fois-là, j'avais eu pas mal de photos du film pour faire l'affiche. Lorsque le distributeur de l'époque a vu la première version de l'affiche, il a souhaité que je retravaille pour rendre le personnage un peu plus sympathique. J'ai alors fait faire un clin d'œil à Harrison Ford. Mais cela n'a pas plu, j'ai donc redessiné l'œil ouvert. En définitif, la première version a été la version finale. Ce genre d'exercice est dur car la peinture acrylique n'est pas facile à retoucher et surtout, il est très difficile de retrouver les mêmes teintes. D'ailleurs, si on regarde bien l'original, je peux vous montrer l'œil qui est en dessous.

La peinture originale

La peinture originale. D.R.

Y-a-t-il souvent des changements sur vos affiches ?

Michel : Tout ce que j'ai fait avec les Américains (Silverado, Indiana Jones…) s'est, en général bien passé. En fait, avec eux, on se met d'accord dès le début et après ils sont plutôt corrects. Avec les Français, là c'est une autre histoire…

Il ya a eu une période (surtout au moment de Leviathan où l'on me donnait une esquisse faite par un maquettiste et je devais ensuite en respectant l'idée première réaliser le visuel.

affiche du 20ème anniversaire

Gil & Michel Jouin, affiche du 20ème anniversaire.
Réalisée pour Lucasfilm Magazine n°30, 2001.© D.R.

Comment Gil en est venu à travailler avec son père ?

Michel : Cela s'est fait d'une manière très naturelle. Et dès que Gil a travaillé avec moi, on a signé les affiches avec la double signature « Gil & Michel Jouin ». En plus de 17 ans de travail en équipe, on ne s'est jamais chamaillé. C'est vraiment une entente formidable.

Gil, quelle a été votre première affiche ?

Gil : J'ai réalisé ma première affiche pour le film Le Gang des BMX.

Expliquez-moi comment fonctionne votre collaboration ?

Michel : C'est une pleine collaboration qui a progressé suivant les travaux. Souvent, Gil travaillait sur certaines affiches et j'intervenais ensuite sur l'illustration pour donner la patte finale. Par exemple, sur l'affiche de Starfighter, il a fait le personnage principal et les vaisseaux et moi j'ai réalisé le fond.

Au cours de ces dernières années, votre technique a-t-elle évolué ?

Michel : Gil s'est formé en réalisant plusieurs travaux pour la publicité commerciale. En fin de compte, il a une technique plus laborieuse que la mienne car il sortait d'une école. J'ai été contraint de changer ma méthode de travail pour m'adapter à celle de Gil. C'était plus facile pour moi d'aller dans son sens plutôt que l'inverse. Mais cela m'a quand même posé quelques problèmes, car j'avais oublié la manière dont on réalise certaines techniques. J'ai perdu de la spontanéité. Alors aujourd'hui, j'essaie de retrouver la légèreté de la technique que j'avais avant. De son côté Gil a évolué petit à petit et en fait, il est beaucoup plus perfectionniste que moi.

Gil, que gardez-vous comme souvenir de l'époque du Retour du Jedi ?

Gil : J'avais 23 ans et j'en garde un souvenir très nostalgique car c'était le début de la grande époque. Juste avant de réaliser la peinture du Retour du Jedi, mon père m'avait proposé, ainsi qu'à mon frère, de choisir trois illustrations dans sa collection. Comme j'étais déjà un grand fan de Star Wars, j'avais réservé l'affiche du Retour du Jedi avant même qu'elle ne soit dessinée. Aujourd'hui, l'original arbore merveilleusement un mur de ma maison […]

Lucasfilm Magazine N°24

Dernière mise à jour le 28/05/2012

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