Les Aventuriers de l'Arche Perdue est l'un des plus gros succès commerciaux de l'année 1981 aux États-Unis. Si cela est sans nul doute attribuable aux talents conjugués de George Lucas et Steven Spielberg, le film doit également beaucoup à son rythme, son tempo. C'est à ce niveau, et à bien d'autres, que la contribution de Michael Kahn s'est révélée essentielle.
Michael Kahn est un vétéran d'Hollywood qui a travaillé sur des films fantastiques majeurs comme Close Encounters of the Third Kind (Rencontres du Troisième Type) et Eyes of Laura Mars (Les Yeux de Laura Mars). Il n'a cependant rien perdu de cette spontanéité et de ce désir constant d'innover qui rendent sa participation à un film fondamentale.
Comment avez-vous construit Les Aventuriers de l'Arche Perdue ?
Tous ceux qui l'ont vu disent que, dans Les Aventuriers, tout va très vite. Ça n'est vraiment pas le cas : il y a cette grande scène au début, puis beaucoup d'explications, de dialogue pendant 8 à 9 minutes, ce qui est très long.
L'illusion est intéressante. Nous étions très préoccupés par cette scène dans la grande salle de l'assemblée, lorsque les agents du gouvernement expliquent sa mission à Indiana Jones. Elle était particulièrement longue, il y avait beaucoup de dialogues très compliqués, et nous avions peur qu'elle ne fonctionne pas. Finalement, elle a marché.
Tout a été fait avec le système de courbes : il est impossible de n'avoir que des points forts sans temps de repos.
Par exemple, à la fin de la poursuite en camion, nous avons inséré cette scène au port, où Marion et Indy partent, et nous ne l'avons pas coupée. George Lucas, qui est convaincu qu'une scène ne doit jamais durer plus de 3 minutes, voulait la couper parce qu'elle ne faisait pas avancer l'histoire. Avec Steven, nous lui avons dit : « Nous avons besoin de cette partie. Il faut leur laisser du temps pour que le public puisse reprendre son souffle. » Je pense qu'il s'agissait d'une bonne décision.
Quel genre de relations entretenez-vous avec George Lucas ?
Nous nous entendons à merveille. Il est très sensible au montage, mais il ne penserait jamais à m'imposer ses idées. Il a plutôt tendance à me faire des suggestions pour que j'essaie de nouvelles choses, afin d'améliorer les scènes.
Il a été tout simplement formidable, et, quand nous avons travaillé ensemble, c'était presque insupportable d'attendre le lendemain pour apporter tous les changements que nous avions imaginés et pour tout refaire. Travailler avec George Lucas et Steven Spielberg a vraiment été l'une des plus grandes expériences de ma vie !
Quelle a été la scène la plus difficile à monter dans Les Aventuriers ?
C'était le combat sur l'aile volante, parce que, dans cette scène, nous n'avions pas de plans d'ensemble, et que tout devait être fait à l'aide de coupures ou de gros plans : l'orientation, les relations de cause à effet, etc. Ainsi, j'avais 250 ou 260 morceaux de film, et je devais en faire un tout cohérent. Parfois, il y a 8 changements de plan à la suite, mais on ne les remarque pas parce qu'ils sont fluides et s'imbriquent dans l'action. Steven tourne de façon très efficace. Dans cette séquence, il y a pourtant une erreur flagrante, mais elle est très difficile à repérer, car nous avons utilisé la section la plus forte de la prise. Nous ne cherchons pas à caser l'intégralité des scènes, sinon elles perdraient leur pouvoir.
Il y a aussi une erreur que j'ai commise dans une scène : j'ai utilisé deux fois le même plan d'Harrison Ford. D'habitude, je ne le fais jamais : j'aime varier les angles.
Pourriez-vous nous expliquer votre technique de montage, plus spécialement pour les scènes d'action ?
Cela ne se fait pas à partir de connaissances, on ne peut pas vraiment apprendre comment monter un film : on le fait par intuition, on sent ce qui fonctionne le mieux et on l'essaie. Il n'y a pas de règles, et il ne devrait pas y en avoir.
Ce qui compte, c'est le meilleur impact d'une scène, ce qui produit le plus d'effet sur le public. Dans Hogan's Heroes, il y avait des règles : pas de changement de plan sans dialogue, il ne fallait jamais sauter une plaisanterie (on devait rester sur la personne qui parlait, obtenir l'impact maximum, puis couper sur un plan de réaction pour les rires. On devait aussi utiliser les rires enregistrés, choisir le rire et sa durée). Mais, avec Steven, nous n'avons plus de règles. Nous avons utilisé tout ce qui pouvait frapper le spectateur. Dans Poltergeist, le nouveau film d'horreur de Tobe Hooper que Steven produit actuellement, il y a même une inversion directe : un jeune garçon glisse sur le plancher, directement vers la caméra, puis on passe à la même action, mais inversée. En théorie, ça ne peut pas être fait, mais c'est le genre de choses que nous faisons tout le temps.
Quand on monte une scène d'action, on doit tout prévoir à l'avance. En effet, il faut entre une image et demie et deux images à l'œil humain pour repérer une coupure dans l'action. Alors, si on arrive à tout faire correspondre parfaitement, elle aura l'air moins subite. Une image compte énormément, surtout pendant l'action : elle est vitale pour le rythme de la scène. En travaillant soigneusement, on peut arriver à mieux unifier la séquence, à lui donner plus de structure et davantage d'importance.
Dans Les Aventuriers, la scène du bar népalais est un autre grand moment, du point de vue action. Comment l'avez-vous construite ?
Au départ, Steven l'avait tournée comme la scène de l'aile volante : rien que des fragments sans plan d'ensemble. Après l'avoir vue, George nous a suggéré d'en ajouter quelques-uns. Nous sommes donc revenus en arrière et nous les avons tournés. Effectivement, sans eux, la scène aurait été claustrophobique, avec deux ou trois changements de plan, comme un vulgaire film TV.
Quand je monte une séquence comme celle-ci, je double toujours l'action. Si un personnage se lève et change de place dans la salle, je ne porte pas l'attention du spectateur dessus. L'œil et le cerveau enregistrent l'action sans qu'on la montre vraiment. On perd le sens de l'orientation dans un combat, et c'est pourquoi la scène du bar marche si bien.
Il y a une scène particulièrement intéressante, lorsque Marion frappe Indy. Elle ne lui donne pas ses raisons et s'en va.
Je suis resté sur Harrison assez longtemps à ce moment-là, parce qu'il était vulnérable : d'accord, c'est un dur, mais il est humain et il éprouve une certaine peine quand il se rend compte qu'il l'a blessée. Ces instants étaient très importants pour la scène. Ils rendaient leurs relations plus sympathiques. À l'origine, ce passage ne devait pas figurer dans le film. Il fait partie des dernières choses que nous avons ajoutées.
Étiez-vous présent pendant tout le tournage des Aventuriers ?
Oui, et c'est le plus intéressant. Généralement, quand un film m'intéresse beaucoup, je suis impatient de voir comment ça va se passer et je suis l'équipe en extérieurs. C'est avantageux pour moi et pour le metteur en scène, parce qu'il peut tout de suite voir s'il va y avoir des problèmes. Éventuellement, il peut même revenir en arrière et reprendre certains plans 3 ou 4 jours après. Quelquefois, c'est l'inverse qui se produit : pour Les Aventuriers, Steven n'était pas sûr d'avoir suffisamment de matériau pour la poursuite dans les rues du Caire. J'ai donc monté la scène pendant que nous étions en extérieurs, et je lui ai dit que tout était OK. C'est vraiment très bénéfique. Nous avons économisé plusieurs journées de tournage qui nous auraient coûté 60 000 $ chacune. Dans certains cas, c'est vraiment étonnant de voir combien de temps et d'argent, on peut arriver à économiser. Grâce à notre collaboration sur Les Aventuriers, nous avons devancé le plan de travail de 12 jours. Certains monteurs d'Hollywood ne commencent à travailler qu'après la fin du tournage et ils se plaignent du gaspillage. C'est encore plus terrible quand il n'y a aucune collaboration entre le monteur et le réalisateur. C'est très gênant pour le metteur en scène, car il n'a pas la possibilité de résoudre ses problèmes.
Avez-vous également collaboré avec les techniciens de l'Industrial Light & Magie, le département des effets spéciaux de la Lucasfilm ?
Absolument. Ils ne pouvaient pas commencer à travailler tant que je n'avais pas monté la scène. En général, ils ne savent pas quelle prise utiliser, la longueur qu'elle va avoir, etc. Nous avons tourné tous les effets spéciaux en Vistavision, sur 8 perforations horizontales. On bénéficie d'un cadre très large, et l'on peut mieux travailler sur les effets spéciaux. Quand on réduit le négatif en 35 mm, il n'y a pas de perte de qualité dans l'image et les effets sont encore meilleurs. Pour Rencontres, nous avons utilisé le 65 mm qui est aussi très large. De toute façon, comme chaque image coûte des centaines de dollars, tout doit être planifié avant qu'ils ne commencent à réaliser les effets.
Toute la scène finale des Aventuriers, avec l'ouverture de l'Arche, a coûté très cher. Il y a beaucoup de changements de plan, et chaque plan contient de nombreux effets. C'était si coûteux qu'ils n'ont même pas mis de poignées sur la pellicule (il y a quelquefois une image en plus au début et à la fin d'une prise d'effets, pour le cas où l'on devrait recouper le négatif). Les effets spéciaux sont les dernières choses dont on s'occupe, et les techniciens veulent qu'ils soient parfaits.
On doit leur arracher la pellicule : ils veulent toujours rajouter quelque chose. Ils y ont travaillé jusqu'à la dernière minute, pour refaire des effets, les améliorer.
Avez-vous supprimé certaines séquences après les projections d'essai ?
Nous n'avons fait qu'un petit changement après une projection privée à San Francisco. Pendant la séquence du sous-marin, il y avait un plan où Indy se cramponnait au périscope. C'était bien, parce qu'on comprenait mieux comment il avait pu parvenir à la base des Nazis sans se noyer. Malheureusement, il y avait pas mal de commentaires qui disaient que c'était un peu stupide, que l'idée était invraisemblable (rires), alors nous avons retiré ce plan. Ça a été le seul grand changement dans le film !
La séquence de l'enlèvement du panier, au Caire, m'a un peu gêné : on a vraiment l'impression que Marion se trouve dans le panier qui est chargé dans le camion.
La poursuite se termine de la façon suivante : les hommes avec le panier descendent en courant vers la ruelle, et Indy les suit. Nous avons alors post-synchronisé une voix qui crie « Indy ! », puis les voleurs tournent au coin de la rue et montent dans le camion. Ensuite, Indy tire sur eux. J'ai dit à Steve de ne pas rajouter cette voix, parce qu'à ce moment-là, ils ont déjà enlevé les paniers. Alors, si en plus, on met la voix, cela suppose qu'ils l'ont embarquée dans le camion et que, par conséquent, sa mort ne fait aucun doute. Nous avons eu une telle discussion que George Lucas a dû intervenir et prendre une décision. Et j'ai perdu !
Avez-vous également travaillé en collaboration avec John Williams, qui a écrit la partition musicale des Aventuriers ?
Je mets toujours de la musique sur les scènes que je monte. La plupart des compositeurs me détestent à cause de cela, parce que j'utilise les morceaux les plus grandioses que je peux trouver et que, généralement, ils ont beaucoup de mal à se hisser au même niveau ! John, lui, adore cette méthode, car elle lui donne une idée de l'effet à obtenir. Pour la poursuite dans les rues du Caire, je crois que j'avais mis du Rossini, et il a composé quelque chose dans ce style. Steven déteste Rossini, mais il était satisfait du travail de Johnny.
Dans 1941, il y avait ce grand bal : je ne me rappelle pas de la chanson que nous avons utilisée sur le plateau, mais j'ai monté la scène d'instinct, sans musique. Puis Johnny est intervenu, il y a ajouté la musique et il est venu me demander quelques coupes, d'enlever 3 images par-ci, d'en mettre 2 par-là, etc. de façon à ce que nous soyons exactement en rythme. John Williams est un compositeur très souple, on peut modifier ses partitions. Il a un caractère très égal et il écrit de la merveilleuse musique.
Les autres vedettes des Aventuriers sont les serpents : avez-vous quelques anecdotes à leur sujet ?
Un jour, à Londres, Steve m'a demandé de venir sur le plateau pour voir les serpents. Alors, je me suis arraché à ma salle de montage primitive et, quand je suis arrivé, les serpents étaient encore dans leurs boîtes. Ensuite, ils en ont répandu 5 000 ou 6 000 par terre et j'ai disparu ! En tout cas, ça s'est très bien passé avec les acteurs : Steven arrive à obtenir d'excellentes réactions de leur part ! Cette scène dans le Puits des Âmes, où Harrison Ford se retrouve face à face avec un cobra, est merveilleuse. Il y avait tout de même une plaque de verre entre les deux. Mais, il y a sans doute pas mal de serpents qui ont disparu dans les fissures de ces vieux studios londoniens. Ils peuvent réapparaître un jour, Dieu sait où ! L'Écran Fantastique N°22
Dernière mise à jour le 28/05/2012